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Go Down, Moses,   Roméo Castellucci

Théâtre

Go Down, Moses, Roméo Castellucci

nelson mederik

Cette pièce est l'enfant illégitime de Castelluci et Lynch !

Dans le cadre du sublime Festival TransAmériques de 2016 (que je ne manquerais pour rien au monde) Roméo Castellucci (metteur en scène, plasticien, scénographe) nous offrait sa plus récente création Go Down Moses (vidéo du trailer ici à voir absolument) au théâtre Denise Pelletier à Montréal.
Les circonstances de vie ont fait que tristement, je jour "J" arrivait et je n'avais toujours pas acheté mes billets (jour "J" étant la présentation qui sera suivie d'un entretien avec lui !!) et quand finalement je me suis lancée pour les acheter....ben la dame a bien rit puisque c'était complet depuis deux semaines ! Me restaient plus que les yeux pour pleurer. Elle essaya donc de me consoler en disant: ''Si certains médias ne se présentent pas, à dix minutes du début, certains billets pourraient se libérer". Et là c'est moi qui a ris. Voyons, ça se peut juste pas, pas pour un Castellucci. N'écoutant que mon désespoir, je me résous à aller faire pitié aux portes du théâtre pour lancer des regards de haine aux chanceux qui auront leurs billets. Juste au cas, j'entre à la billetterie vérifier s'il reste des places...Ben voici ma tête cinq minutes plus tard (et celle de mon précieux qui avait écouté mes lamentations !) J'ai eu mes billets !!!!

 

On se calme, ca commence
Ce fut mon 3e Castellucci à vie. Les avertissements étaient nombreux, partout, martelés : représentation débutera à 20h tapante. Aucune admission ne sera tolérée (genre pour vrai, 20:00:03 tu rentres pas, il ne niaise pas avec ça lui). Mon plaisir était immense lorsque ma montre indiqua 20:06, les acteurs étaient déjà en scène depuis six bonnes minutes, et encore des retardataires rentraient. Castellucci à la console (littéralement à un pied de mon siège) qui rageait, maugréait en italien...l'expérience était déjà totale !

La pièce raconte l'histoire de Moise. De l'histoire sacrée il fut le seul à rencontrer Jésus. Alors quoi de plus logique que de ne jamais l'inclure dans la pièce ! Il est le grand absent et c'est très habile. Il est question, tout au long de la pièce, du point de vue féminin de l'Histoire.

Le changement
Depuis les dernières années, le théâtre de Castellucci aborde le mystique, le sacré, le religieux. Il approfondit, multiplie les recherches, interroge, interprète, dissèque. Est-ce un hasard que ses mises en scène s'épurent également ? Sûrement pas !
Castellucci nous a habitués à son style narratif très particulier, nous transporte dans des mondes où l'ont ne peut que se tremper le bout des orteils mais qui, chaque fois, nous fait sentir de retour chez soi. Go Down Moses ne fait pas exception !

Des habits de grands couturiers pour représenter l’ADN ?
La scène d'ouverture nous permet de prendre conscience du rideau/voile transparent qui ferme le 4e mur, où sont projetés les sous-titres (les quelques phrases sont en italien et les sous-titres sont français/anglais) voile qui rend donc la vision un peu trouble, flouée. Sont présents les acteurs, marchant en groupes et sous-groupes, se heurtant doucement, n'ayant pas l'air d'avoir de trajectoires logiques. De par la couleur des habits, telles des parties d'un génome, au début il eut la création (de Moise ici). L'ambiance sonore porte à croire à un micro intra-utérin. Très fort et perturbant comme moment.

 

 

Accouchement et drop de bébé aux poubelles
Dans les toilettes (modernes) d'un resto, une femme donne naissance dans la douleur, le silence et le refus, à ce Moise. Je fus surprise de ne pas avoir d'odoramat lors de cette scène, Castellucci nous y avait habitués. La scène très actuelle d'interrogatoire de policiers, le discours incohérent de cette mère (elle parle pratiquement en paraboles) donne une dichotomie hyper angoissante. Le clash des deux réalités est très efficace.

 

La turbine qui avale tout
Toujours dans la recherche de placer le moderne actuel, Castellucci a fait construire cette espèce de machine cylindrique, placée à l'avant-scène et qui avale ces têtes qui descendent du plafond. Le bruit/effet sonore est indescriptible! Fort, froid, métallique, strident, perturbant. Les aspects futuristes servant à nous contextualiser (cette turbine, le scanner médical) donnent froid dans le dos. Les frontières s'embrouillent, sont franchies.

 

Au début il y eut la Femme
Dépassant la première scène de Space Odyssey de Kubrick,  le 3e acte nous transporte au tout début de l'humanité, dans la grotte de la création. Une femme vient de perdre son enfant, ils procèdent à son enterrement. Les émotions sont universelles, leur réaction semble animale (accouplons-nous de suite pour en faire un autre) mais surtout, la réaction de la mère....s'avançant devant ce 4e mur...qu'elle frappe de sa main avec l'énergie de l'humanité entière. Ce geste est le premier geste enregistré de l'Histoire, par cette femme ! Elle inscrit ensuite toujours sur ce voile S.O.S. Lettres qui font encore tellement écho.

 


La plus grande création de l'Homme est l'art...Castellucci nous le propose d'une façon irréprochable et transcendante. Souvent qualifiée d'esthétiques violentes, l'expérience Castellucci ici est réelle, cathartique sans que consciemment on le sache (comme à retardement). Il arrive vraiment à suspendre le temps, à plier cette réalité vécue/partagée comme encore juste le théâtre le permet.  

Point de vue féminin
Regard de la femme, la mère qui abandonne, qui perd le sens de la réalité, qui enterre son enfant, qui se questionne, qui le rejette, qui s'exprime, qui appelle à l'aide (les dessins des grottes de Lascaux ont été fait par des femmes).


L'esthétique est presque Lychienne, dans ses couleurs, ses ambiances et dans la proposition de scripte. Le théâtre est religieux par définition, un rituel. Ici, rien d'ostentatoire, il n'y a pas de prémâché. Il nous offre du contenu intelligent, rien n'est jamais trop grand ou impossible. Les lenteurs savamment exploitées nous chatouillent le rapport au temps tellement déréglé dans notre modernité et c'était bon ! Tout y est, la sainte Trinité ; les images très actuelles, le passé déplaisant à regarder et le futur dérangeant.

 

L'expérience du ensemble, Castellucci en est le Maître !

Audrey Desrosiers