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Journal d'une femme artiste en temps de pandémie (4 de 4)

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Début juin 


Ça fait quelques temps que je n’ai rien dit. Dans les derniers jours, j’ai hurlé à l’émerveillement dans un texte sur la baleine prise au Vieux-Port de Montréal. J’ai terminé le documentaire Netflix sur Jeffrey Epstein. J’ai rêvé souvent à Trump, jusqu’à avoir l’image de son visage imprégnée sur la rétine. Je dis “rêvé”, mais disons qu’il devient en quelque sorte l’illustration d’une certaine anxiété ambiante. J’ai parcouru beaucoup de carrés noirs sur les réseaux sociaux en hommage à George Floyd, mais aussi pour dire <<je suis solidaire>>, contre le racisme qui reste ambiant et l’oppression du pouvoir (policier, gouvernemental et autres). Et il y a des jours où le monde actuel, celui sous le joug du virus, vient teinter le monde d’une légère morosité. Surtout quand tu es enceinte et que ton amoureux habite de l’autre côté des frontières Canada-États-Unis et que tout ton stock tient encore sur le plancher de ta chambre, dans ton appartement d’Hochelaga (parce que tu as quitté Montréal sans l’avoir prévu, sans avoir pu dire bye, sans que rien ne soit prêt !). J’ai dormi presque deux journées complètes, me réveillant aujourd’hui un peu plus légère (enfin) et ayant doucement retrouvé mes forces. 


Il y a de ces périodes, où même l’acte créateur ne comble pas. Où on ne dirait pas non à d’autres belles journées lumineuses et chaudes pour se garder vivants dans l’ambiance estivale, où on cherche à oublier, se laissant choir dans le désir (impossible) que tout se règle tout seul pendant qu’on traverse le monde des rêves accompagné de sa complice féline ronronnante. On la regarde et on se dit : je voudrais une vie aussi simple que la sienne. Si elle l’ose, puis-je l’oser moi aussi ? Alors on se repose des lourdeurs, on découpe et raccommode certaines idées, certaines sensations, on traverse les déserts des émotions, les orages, les marées. Puis on se relève. On se relève encore. Avec le désir de manger, de se laver. Avec le désir de remette encore une fois sur papier la liste des choses à accomplir, maintenant et dans la vie plus large. Passer son permis parce qu’on devient mère, c’est peut-être le temps (et puis vivre en Gaspésie, même juste pour un temps, ça prend un permis comme qu’on dit !). Penser à se stabiliser un peu, avec un enfant, c’est peut-être une bonne idée. Finir d’écrire ce roman qui traîne en tête et qui traîne encore depuis, quoi, 5-6 ans ?! 2014" 2020. L’écrire comme il vient, mais l’écrire. Aller acheter de l’encre pour l’imprimante même si ça coûte un bras. Essayer des robes. Photographier encore son ventre, parce qu’un corps de femme enceinte, parce que ton, mon corps de femme enceinte. Quelque chose d’éphémère, mais d’incroyablement présent et perturbant aussi. Le rapport au corps qui change du tout au tout. L’exhiber ou le garder pour soi ? Je me disais que j’allais, contre toutes attentes, être généreuse de la bedaine. Mais ma bedaine, je la garde pour moi, deux mètres de distance obligent.


Ce matin, pendant que mes parents allaient préparer leur roulotte (une nouvelle aventure pour eux), je suis allée rencontrer la mer. Elle m’attendait, la plage vierge d’autres humains, les vagues crachant sur le rivage. En approchant l’entrée de la plage, je remarque aussitôt un bateau rouge de pêcheur de homards sous les rayons du soleil transperçant les nuages lourds et gris. Dans les airs, dans une certaine circonférence, l’espace est envahi par des dizaines de fous de Bassan affamés et hurlants. Le spectacle, tout est sujet à spectacle, se déroule rapidement, mais prend en beauté encore et encore sous mon regard.


Je me suis assise et j’ai fait face à la beauté une fois de plus. Il me semble que lorsque je me retrouve ainsi, quelque part soumise à la nature qui s’agite et se crée, je me sens lavée de toute pesanteur. J’ai soudainement l’impression de devenir :


1- un enfant qui découvre un nouveau monde


2- une exploratrice


3- une femme qui entre dans une nouvelle exposition au musée


4- un animal sauvage et curieux


5- une poétesse


6- une vague


7- un oiseau


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Je deviens multiple et en même temps, j’entre en moi, comme en mon X. La nature est souvent, très souvent, ce qui me ramène à ma source interne, remet en fonction la boussole, bouscule le compteur, repart la machine qui se pensait brisée (qui, peut-être l’a été, mais qui maintenant, se relève capable de marcher sur ses ecchymoses, ses cicatrices).


Alors tout en moi se tait pour entendre. Puis de nouveau, comme nettoyé, comme abreuvé, la poésie se remet en marche, au contact de ce qui se meut, comme un désir de communion, de dialogue. Je parle vagues, je parle chacune des vagues. Je parle pierres et vent. Je parle oiseaux marins. Je parle vers de mer qui essouffle sa vie. Je parle sel et sable. Je parle arbres et poissons morts. Je parle nuages et montagnes à l’horizon. Je parle tout ça et je m’habite, comme j’habite le monde qui m’entoure et me traverse.


Revenir en terrain quotidien, confronté au monde dit “réel”, dit “obligé”, on ressent les tiraillements ici et là encore. Mais ils se reposent plus vite, plus facilement, parce qu’on a encore la respiration accordée à celle de la nature. On sent encore le bouillonnement tranquille sous la terre de nos os frémir devant l’immensité, face à l’infini.

Journal d'une femme artiste en temps de pandémie (3 de 4)

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Mi-mai 

Je me réveille chaque matin, de plus en plus conscience de mon ventre et du fait qu’il contient un humain. J’ai encore besoin de me le répéter plusieurs fois par jour. Je ne veux pas non plus me leurrer d’idées toutes faites. Je veux me faire ma propre observatrice de la chose et m’avouer mes peurs, mes incertitudes, mes incapacités, mes feelings, mes émotions soudaines et inexplicables. Je me réveille de plus en plus tôt, comme si je me préparais déjà à briser le sommeil, à accueillir un visage au petit matin.


Je regarde le tracer sur mon ventre, au-dessus et au-dessous du nombril, une forme d’arbre remplie de branches et de racines. Comme si mon corps, lui, savait exactement où se trouve le lieu de création. Depuis 6 mois de ma vie, déjà, je crée quelque chose avec tout ce que je suis et en même temps, je ne sais pas toujours comment m’impliquer dans le processus.


Je tente de rattraper le temps que je n’aurais plus, une fois l’enfant née. En même temps, je me retrouve fatiguée de la création physique et psychologique en cours.


Je tente le rattrapage, je le prévois, et se manifeste en moi une sorte de compétition plus ou moins malsaine que je tente de mesurer, de réfléchir et à l’intérieur de laquelle me positionner. À travers ce qu’on m’a inculqué, le désir d’actions, de réalisations personnelles et artistiques et dans l’optique d’une vie que l’on m’annonce chargée, où il me faudra faire le don complet de moi. Je tente de prendre de l’avance. 


Au cours des trois premiers mois, comme je le mentionnais dans mon texte sur le processus de création de l’exposition <<Îles>>, j’ai souffert et mon être artiste (cette part de moi que je chéris) a souffert beaucoup lui aussi.


D’abord, je ne ressentais plus rien. Plus rien de rien, en dehors de l’anxiété provoquée par le flux hormonal, les désagréments physiques et les vagues d’incertitudes.

Puis, ne me reconnaissant plus, je ne savais plus poser un geste créatif. En perte complète de mes repères, je ne pouvais plus m’engager et m’abandonner à la création. Je n’étais plus disponible. La création est, par excellence, ma bouée de sauvetage depuis toujours. C’est aussi ma manière d’être, d’exister, de respirer et de me mettre moi-même au monde. Pendant plusieurs semaines, cette absence de moi, souffrante, souffrante. Si j’ai tenté de le dire, je sais que tout ceci reste tabou. Mon être artiste en péril. Pas que la femme, la vie tronquée d’incertitudes, mais cette part de moi, l’être artiste, qui me donne sens et consistance, elle ne savait plus être, je ne savais plus la ressentir, la quérir, l’amadouer, m’en approcher. J’ai tenté des solutions. J’ai continué d’écrire les pages du matin. Je me suis retournée vers les livres en me procurant Journal de la création de Nancy Huston et un nouvel exemplaire de Libérez votre créativité de Julia Cameron, ouvrage précieux que j’avais perdu dans le cabinet d’un docteur ou sur le siège d’une navette de métro ... quelques mois plus tôt.


Nancy Huston, avec son récit de grossesse et de réflexions sur la création, dans ses trois dérivés (création du corps, création par l’Homme et création artistique (littéraire), m’a réchappé, m’a aidé à sortir de ma torpeur et m’a redonné le souffle nécessaire à la suite des choses. Elle a préparé le feu, en ramassant les bois secs, jusqu’à ce que les flammes remontent. Ne me reste désormais plus qu’à continuer de nourrir ce feu.


Depuis des années que je me suis tournée vers les arts visuels, pas par dépit, oh non, les arts visuels sont pour moi un langage primaire, un langage maternel, naturel, mais parce que je ne connaissais pas mon langage littéraire, il me fallait le chercher pour le trouver, autrement l’écriture était trop souffrante et j’avais tout de même besoin de créer. Et les arts visuels arrivaient avec son lot de liberté, un grand océan, où me baigner année après année, sans jamais sentir le besoin de me demander si ça risquait un jour de s’arrêter. Oui, bien sûr, j’ai traversé plusieurs étapes de doutes et de recherches, de batailles avec moi-même, etc., mais toujours avec l’assurance que c’était le lieu d’un flux constant et inébranlable. Mais quelle surprise lorsque je me suis retrouvé face à l’immobilité complète et à ce vide opaque face à ma création visuelle.  C’est là que j’ai compris que rien, jamais, ne me serait réellement acquis. Il m’a fallu chercher et tâtonner, pour permettre à une nouvelle route de jaillir.


Je trouve nécessaire de partager ce type de réflexion, parce que de mon côté, je me suis retrouvée très seule dans ce côté sombre d’un début de grande aventure humaine. Quand le corps et la tête, mais aussi, quand la créativité prend vacances, que reste-t-il ? Vers quoi, qui, comment me tourner, me retourner ?


Alors, Nancy Huston et Julia Cameron.


En débutant à la librairie, sur Saint-Denis, comme librairie l’été dernier, j’ai rapidement remarqué l’ouvrage de Nancy Huston, Journal de la création. L’essai littéraire et créatif avait tout pour me plaire. D’abord, c’était un journal ! Puis il parlait de créativité ! En ouvrant les premières pages, j’ai lu que l’autrice avait débuté l’ouvrage lors de la fin du premier trimestre de sa deuxième grossesse, au moment où, avec un peu de chance, le fœtus risque d’être bien accroché et de se rendre jusqu’à la fin du parcours. Durant l’été, commençait à planer l’idée de devenir mère, mais tout mon être n’y était pas encore. Je le répète encore, mais pour moi, devenir maman, revient à vivre une expérience et à choisir que celle-ci prenne place dans toutes ou quasiment toutes les sphères de ma vie, mais en contrepartie, ce n’était pas une nécessité pour moi de le devenir. Je sais exister à travers ma création et mon regard sur le monde. Mais voilà, j’ai décidé de plonger, et malgré mes peurs, il n’y a plus de retour en arrière et donc, chaque jour, je prends et tente de prendre le temps de devenir, avec ce qui se manifeste en temps et lieu.

Donc, durant la crise des premiers mois, j’ai repensé à cet ouvrage de Huston, magnifiquement illustré par l’artiste Georgia O’keeffe, ainsi qu’à celui de Julia Cameron, qui déjà, est un allié, pour moi, un ouvrage de référence, depuis des années. Si j’avais du mal à lire, à réfléchir, je suis entrée tête première dans Journal de la création, ne m’attendant pas du tout à y trouver un ouvrage de ce type. Écrit vers la fin des années 80, Huston, comme je l’écrivais plus tôt, narre les six derniers mois de sa deuxième grossesse (création), en créant le pont vers 1- la création de l’Homme (ses fictions, tant pour ce qui est de dieu, que pour son autorité patriarcale (essai féministe!) et 2- vers la place de la femme écrivaine dans une relation avec un autre écrivain ou comment elle obtenait rapidement une place aux assises fragiles, violentés et ostracisées.


Cet essai a permis à la colère et à la passion de renaître à travers moi et de redonner, justement comme je le disais, manière à remettre le feu en flammes. Pour ainsi faire repartir la machine à pensées, à ressentir et à créer.


Mon ventre bouge, je sens les coups pulser des profondeurs de moi, avant de se manifester sur l’horizon courbé.


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Ce que je tente de dire, de partager avec ce texte, dans l’aube de mai, avant même de boire mon premier café, c’est que mon rapport à ma création est aussi mouvant que tout le reste. Et qu’étant mouvement, je dois m’adapter à lui, autant qu’il s’adapte à moi. Je tiens aussi à nommer certaines choses, que j’aurais aimé lire au début de l’aventure vertigineuse qu’est celle de devenir mère. Qu’on ne me vende pas qu’une seule image, celle d’un bonheur irréversible et absolu. Qu’on me montre aussi d’autres réalités. Celles de femmes comme moi, qui se réalisent dans l’art de créer au quotidien.


Ce que j’ai fait aussi, pour me redonner du pep, c’est une recherche de femmes artistes inspirantes. Un matin, à la librairie, j’ai servi l’autrice et réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette et ce calme et cette énergie puissante qu’elle respirait m’a redonné confiance. Il me fallait de nouveaux modèles. Alors, je me suis mise à en chercher, simplement pour me dire que ça se peut être artiste et mère et même artiste prolifique et mère. Ces deux rôles sont compatibles. Je ne suis pas irrémédiablement fixée à l’un ou à l’autre, parce que j’accepte consciemment un rôle que l’on <<attendait>> de moi, je reste moi, et je resterais moi, à travers ce nouveau titre. Voilà une certitude que je nourris.

Anaïs Barbeau-Lavalette, Patti Smith, Isadora Duncan, Mélodie Vachon-Boucher, Véronique Côté, Catherine Dorion, Sylvia Plath (malgré tout, elle oui), etc., etc.. Il en existe une tonne et ce sont toutes de superbes femmes inspirantes et puissantes. 


Je sais que les choses changent et qu’elles changeront drastiquement encore et encore. Je rame sur ces nouvelles vagues. Pour l’heure, j’apprends à réaliser mes buts créatifs, tout en apprenant à recalculer mes attentes envers moi, pour entendre et être à l’écoute de ce qui se manifeste dans l’instant. Le désir d’aller au bout de tel projet, versus la nécessité de m’octroyer une sieste. D’ordinaire, c’est déjà extrêmement difficile de concilier vie et art, art et vie, sur certains points plus que d’autres, mais j’ai l’habitude, alors je poursuis ainsi.


Je crois définitivement qu’une des plus grandes richesses dans le fait d’être artiste, c’est exactement cette capacité et cette force à savoir tout réinventer encore et encore et à jouer avec tous les possibles.


Depuis le début du confinement, de la pandémie, je suis déjà passé par plusieurs étapes d’alliage vie-art, art-vie. Je suis prête à poursuivre. En créant, en m’écoutant. En me restant fidèle, en acceptant les changements qui s’effectuent en moi et autour de moi. Je tente de prendre ce qui est, ce qui vient. Tant les surprises, que les tempêtes. 

Je nourris le feu, je repose le corps, je prépare le nid.

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Mi-mai

Une chambre en soi – sur l’écriture 


Aujourd’hui, je vais mieux. Dans le sens où ça n’hurle pas trop fort dans ma tête. Le corps lui, s’endort. Souffle un peu. Devant le soleil, me demande pause, repos. Je me réveille de plus en plus tôt. Je perçois les étapes d’une restructuration du ciel chaque matin.


Aujourd’hui, je vais mieux. Mais j’ai encore besoin de dire que je m’absente. Que j’ai besoin d’espace pour me reprendre, non pas où je me suis laissé, mais à l’endroit où je vais me retrouver.


Ce matin, j’écoutais, en audio, sur France Culture, une émission consacrée à Virginia Woolf et à son essai féministe Une chambre (ou un lieu) à soi. Depuis hier, depuis avant-hier, j’ai repris la route vers l’écriture de mon roman (comme s’il n’y avait qu’une seule histoire pour me suivre toute ma vie). Et je me questionne, au fil des journées, des périodes d’écriture et celles de latence, sur ce qui est nécessaire pour rendre possible l’écriture. Ce qui est ultime et primordial pour moi, ce qui me fait écrire, ce qui me rend possible dans l’écriture. Et ces réponses, elles me sont apparues au long fil des années, de ces années où j’ai osé faire place à ma langue intime, à cette curiosité née du désir d’écrire et de partager par les mots et les images.


Et oui, j’ose, sans être légitimée par l’édition ou par les voies universitaires, parler de l’écriture, de mon écriture. Puisqu’il s’agit de ma manière de communiquer, comme les matières plastiques (les arts visuels) et même la danse (sans en faire une vie, le vivre intensément lorsque se présente le moment).


Tout débute avec le désir. Cette pulsion créatrice. Ce besoin unique et viscéral de s’offrir à un projet, comme on s’offre à un amour, comme on s’abandonne à la mer, comme on ose devenir maman et comme on marche dans sa vie heure après heure.


Un soir (mais en réalité, ça provient de la nuit des temps de soi, seulement on ne le saisit pas à si grande échelle), dans ma chambre chez mes parents, un agréable engourdissement après avoir fumé un peu de mari, j’ouvre un carnet et je note des idées. Je pars de moi, je transforme déjà. Ce que je sais, je suis prête à cet échange, je suis prête à entamer un projet d’écriture de plus grande envergure.


Puis ma vie se déplie complètement pour faire de l’espace au projet. Comme si dès que j’y avais mis les pieds, dès que j’avais fait signe que oui, j’étais prête et toute la vie se mettait en branle dans le même sens.


Une chambre. Cette chambre.


Ce que je n’avais pas encore remarqué, c’est la présence de ce silence. De cette solitude. Ce raccord particulier entre moi et moi. Entre le <<je>> existant de corps et d’esprit et l’autre, celui qui capte le monde sous tous ses angles, ses sonorités, ses époques et ses possibles. Ce silence, qui permet l’écoute de cette musique particulière qui se tend et travaille à se rendre et à s’entendre.


Donc le silence d’une chambre. La chambre d’un silence.


Pendant plusieurs mois, c’est dans une cabane que j’ai écrit, avec vue sur les montagnes de Percé. Chaque jour, à la même heure, je me rendais et me cloisonnais en ces lieux pour écrire, écrire, écrire et observer le déploiement du monde devant et autour de moi, dans les changements de saisons, le va et vient des oiseaux, le son de mon être qui germe et les voix des personnages qui me montrent les directions à prendre en me faisant découvrir les lieux de leur histoire.


Une cabane à moi.

Comme pour mon personnage.

Une cabane où devenir ou faire advenir.

Une cabane, un silence, une chambre à moi.


Puis une maison. Une petite maison jaune avec vue sur l’Île-Bonaventure et le Rocher Percé. Écrire, écrire et écrire. Tenter de réparer les souffrances anciennes et présentes, non qu’elles aient un rapport avec l’acte d’écrire, mais plutôt avec l’être qui se construit à travers l’acte d’écrire. Écrire, souffrir, écrire. Ne pas savoir comment affronter 1-la solitude, 2-le silence.


Selon Virginia, deux facteurs restent nécessaires à l’éclosion d’une autrice et de ses idées écrites :


1- une pièce, où se retrouver seule et calme loin du danger des désagréments futiles (?!) et où permettre l’éclosion de l’art, 


2- et de l’argent, puisqu’il faut bien vivre de quelque chose et que la réalité est économique (nous nous le rappelons fort bien en cette période de crise et d’incertitudes empilées comme de vieilles pierres effritées).


J’avais donc un lieu à moi et de l’argent. Mais pas ce calme intérieur qui permet l’écoute du silence. J’usais de rêves pour endormir les risques de chutes liées aux peurs et aux incompréhensions. J’usais de rêves pour paver à la brume opaque qui régissait ma vie, mes cinq sens et les autres encore.


Un lieu et un trouble du silence. De l’argent et un trouble de la solitude. J’y ai survécu. J’ai quand même écrit. Et chaque période d’écriture prenait des allures de bains de sang symboliques. Aoutch ! Bains de sang invisibles. Qui, inversement, trouvaient leur douceur dans le fait d’avoir écrit. D’être parvenue à extirper quelque chose du brouillard rugueux et rouge.


Un lieu, de l’argent, un silence et une solitude tueur et tueuse. Se tourner vers l’autre monde, celui des rêves, celui de l’inconscience, m’en nourrir, en abuser, me retirer doucement du monde, m’abandonner au monde au-delà du monde. Trouver une relique du vrai dans les étoiles la nuit, dans les vagues à 16h, dans le soleil du petit matin. Autrement, me déserter.


Puis la collocation et la fuite dans la capitale, un appartement emprunté. Je ne sais ni écrire, ni vivre cette solitude anxieuse. Je préfère retourner chez moi. Chez moi, il y a les autres et leur chaos, mais il y a aussi la mer qui m’est devenue essentielle et le champ derrière la maison qui m’écoute en poésie, me rassure dans son étendu tranquille.


Et cette autre cabane, encore plus enracinée dans la montagne, entourée de forêt. Maison, chalet veillant mon corps et tout Percé. Papotant monts et mer. Cette maison, comme un amoureux qui enveloppe. Cette maison comme la suite de mon corps. Une seule construction sous le clair de lune. Elle et moi, moi et elle. C’est là que je décide de faire éclater les abcès. Si je ne le fais jamais, jamais je ne parviendrais à dépasser les choses de la vie qui bloquent la fiction. Fiction qui part de ma participation active au monde.


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C’est là que j’acquiesce à la poésie. Je cherche à libérer le langage, à dépasser les portes closes, à escalader le mur, à ne pas tomber de celui-ci trop abîmé. Ça ressemble à mon processus en peinture. Désapprendre ce que j’ai acquis pour joindre l’essence de ce que je ne connais pas encore, mais que je sens vriller à l’intérieur de moi.


J’écris, j’écris. Surtout, je joue et je cris. Je m’amuse avec les mots et je pleure. Je marche et je rejoins la mer, puis je trace des lignes entre la plage et la forêt. Je me fais cueilleuse de pierres et de mots.


Si je me suis fait observatrice du mouvement, de l’imperceptible vitalité d’un lieu, d’une vie, aujourd’hui, j’apprends à y prendre part.


Dans ma vie Montréalaise, deux vies. D’abord le volcan gronde et ne s’interrompe qu’en cas de chute - car, sachant désormais me dresser devant le mur, mur que je sais nommer, je n’ai pas encore appris comment ne pas tomber, alors j’apprends à la dure. D’explosion en explosion. J’ai le rouge qui fait des vagues dans les veines, le rouge qui me pique les joues, me pointe les possibles. J’entre dans le mouvement ininterrompu et perceptible de la grande ville comme une enfant dans un monde clair et net et précis pour la première fois, l’opacité du monde a laissé place à la transparence. Poésie, images. Dessins, photographies. Poésie. Poésie. En mouvement. Écriture en marche. Il y a tant et tant d’évènements. J’avale les images, les formes, les couleurs, les sensations, les parfums, je retranscrits. Je suis un canal traversé par les mots, les vers éclatés, les figures de style, le besoin d’être témoin. J’écris. J’écris. Je capte. Je retranscris.


Puis une solitude qui s’apprend. Le silence autrement. Les paysages défilent sur les visages des gens, des centaines et des centaines de paysages à visiter. À observer. Dont il faut percer le mystère, souvent de loin, sans se faire remarquer. Parfois de près, pour sentir qu’on a encore une peau, un pouvoir du beau.


Une chambre, une ville. Une table dans un café, la solitude. Le silence qu’il faut. Une solitude qui se détend. Un silence qui se respire.


Je comprends que cette chambre en soi, cette pièce en moi, ce lieu, se trouve trouve à l’intérieur de moi justement et que mon écriture se réalise en mouvement. Aussi ce que je remarque, c’est qu’il me faut être disponible. Je peux être submergée par une émotion, n’importe laquelle, agréable ou douloureuse et puiser dans celle-ci pour écrire, mais je ne peux pas être préoccupée, avoir l’esprit excédé par quelques pensées ou projets extérieurs que ce soit. Pour que viennent et montent les mots, il me faut fermer la porte de ma chambre intérieure pour que personne, ni rien ne vienne déranger le flux créateur de la pensée littéraire.


Sur France Culture, toujours dans l’épisode consacré à Woolf, on cite l’autrice lorsque celle-ci se décrit comme une écrivaine spongieuse, c’est-à-dire qu’elle se laisse facilement déranger et traverser par le mouvement extérieur et qu’il lui faut, pour travailler, cet espace clos où faire pleinement jaillir sa pensée en continue et celles de ses personnages.


Pour ma part, je dois dire que oui, je me considère aussi comme une écrivaine spongieuse, mais en même temps, j’aime à jouer avec ce va et vient, j’aime me laisser bouleverser. Je sens que je perds souvent beaucoup de temps à retrouver l’équilibre entre deux bourrasques, mais souvent j’utilise ces mêmes bourrasques pour créer des images ou pour trouver une idée.


C’est pourquoi j’aime écrire en marchant, en mouvement. Je traîne dans ma tête, cette pièce où être seule avec ma création et en même temps, le monde continue de se dérouler autour et en moi.


J’ai aussi besoin de la nature et de ses éléments pour trouver l’énergie nécessaire à la construction des murs invisibles qui créent ma chambre intérieure. Je me tourne vers les arbres, les oiseaux, un regard, un espace, une fleur, une marée montante ou je me laisse traverser par un grand vent et saisie, je trouve immédiatement la route de ma chambre. Je sais que tout ça tient sur un fil, mais voilà un fil vivant que j’apprends à reconnaître et vers lequel je me tourne de plus en plus. Je vais à sa rencontre. De là, naît une écriture plus vive, plus près de mon souffle. 



Et toi, quel type de créateur es-tu ? Es-tu plutôt du type espace clos ou du type création en mouvement, peu importe l’heure et l’endroit ?

Journal d'une femme artiste en temps de pandémie (1 de 4)

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Allô, je prends une pause.

Je tente de.

De prendre une pause.

Mon corps me dit de plusieurs manières, allô, peux-tu t’arrêter un peu ? Peux-tu relaxer ? Repose-toi donc s’il te plaît. Aurais-tu oublié que tu es activement en création d’un autre être humain ? Que tu partages ton corps et toute ton énergie à cette création, à l’élaboration vivante de cette œuvre d’art ?

Allô, allô, je te demanderai de t’arrêter un peu. Juste le temps de souffler, juste le temps de prendre le temps. De vivre les coups de pieds, les caresses du dedans, les retournements de tous les côtés de l’être qui glisse contre les parois de ton corps. Tu sais, oui, le temps coule. Mais le printemps n’est qu’en préparation. Tu as encore le temps. Et puis le Québec, l’Amérique, le monde terrestre se repose encore. Prends le temps. Laisse-toi bercer par la mer. Laisse-toi endormir par le vent. Écoutes encore ton chat ronronner. Ta fatigue, accueilles la. Prends ton temps. Prends tout ton temps. Tu vis ce qui ne se répète pas. Ce qui n’a lieu qu’une seule fois. Un levé de soleil. Une pleine lune. Un coup de pied. Un chat qui miaule. Une vie aux allures incertaines, violentes, fleurissantes. Une vie de questionnements, d’amour à distance, de forte portée poétique. Une vie entre mer et sous-bois. Aucune des heures, des journées, des semaines écoulées ne reviendront. Prends donc ton temps, tout ton temps, pour goûter chaque pas, vivre chaque respiration, veiller chaque larme. Prends le temps de reprendre tes forces, de refaire ton plein d’énergie, de contempler tes courbes, de déguster des fruits. Prends le temps. De vivre tes parents, de perdre ton temps, d’avoir mal à certains endroits. Prends le temps d’avoir le droit. Les idées ça va, ça vient, ça vol. Si quelques-unes se perdent, d’autres se pointent. Il y a toujours ce va et vient.

Les idées c’est vivant. Ça ne se perd pas. Ça se remplace ou ça se transforme.


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Après plusieurs semaines de confinement à tenter, sans vouloir me mettre de pression, mais active néanmoins dans une vie/époque/société qui demande un minimum de rendement, j’en suis arrivée à un certain état d’épuisement physique, moins moral cette fois. D’une part, la peur de ne pas en faire suffisamment - ne pas travailler, vouloir occuper son temps avec intelligence et créativité. D’une autre part, du jour au lendemain, recevoir tout cet espace-temps, en plus de ce jaillissement d’idées de projets. Mais ne pas savoir dire stop une fois de temps en temps, parce que pourquoi ? Parce que la passion. Parce que ne pas trop savoir quoi faire de ne rien faire ? Ça marche comment quand on ne fait rien ? Puis voir le corps changer, le sommeil bousculé, les maux s’accentuer, le système immunitaire perdre en énergie. Se dire, peut-être devrais-je me reposer ? Ne pas tomber dans la honte de ne pas suivre tous ces défis que je me lance. Ne pas être présente à tout. Oser faire la sieste quand le corps le demande. Entendre et écouter le corps. Et puis, au lieu d’une culpabilité de future mère, prendre le temps de vivre ces mouvements de l’enfant en composition. Engager un dialogue de langage en mouvements. Allô, allô, je suis là, je ne t’ignores pas. Je te sens. Et toi, sens-tu la pression de mes mains et de mes doigts au-delà de la peau. Entends-tu ma voix, celle de papa et ces musiques environnantes que je te partage ?


Apprendre à ne rien faire.

Et en quoi ça consiste ne rien faire ?


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Hier, j’ai sommeillé dans le soleil. J’ai lu un peu. Puis j’ai visionné une série légère sur Netflix. J’ai écrit à mon amoureux. Chialé un peu. Cuisiné.

Ne rien faire consiste-t-il à :

Ne faire que des choses éphémères qui ne marqueront pas le temps ?

Ne créer que du non-sens, ou alors un sens si intime qu’il n’entre pas dans le réel social ?

Ne rien tenter pour favoriser la croissance économique ?

Vivre sans trace ?

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En me détachant, une fois de temps en temps de cette course qui m’est imposée et que je m’impose, cette course exposée, cette course à mes désirs <<futurs>>, est-ce que j’apprends à ne rien faire ? Ou suis-je en train de faire, mais seulement sans témoin pour confirmer la chose ?


Présentement, j’écris.

Depuis deux jours, je n’ai pas écrit mes pages du matin. Je décide plus ou moins consciemment de briser le rythme, pour m’octroyer le droit au repos, à une non discipline.

Mais j’écris. Présentement, mes pensées. Parce que celles-ci s’imposent à moi. Elles montent naturellement. Et oui, j’écris en toute conscience d’un désir de partage. Humain. De différentes manières, humain.


Peut-être pour me donner ce droit. Voir que je ne suis pas seule. Avoir besoin d’être acceptée, qu’on me confirme ce droit au repos. Qu’on me confirme ce droit à la lenteur. Parce que, même ici, je vis trop vite. Je vis de l’éclair. Et au lieu de briller, je m’atterre et me terre.


Je nomme les restes, ceux qui continuent de suivre, d’un combat livré jour après jour, depuis la nuit de mon temps.


Est-ce que je souhaite inculquer ça à mon enfant ? À cet être qui modèlera en partie son être sur mon essence ? Je veux plutôt lui apprendre à respirer et à entendre, à être fidèle, le plus possible à cette voix qui vacille en lui, en elle. Je veux aider la forge de l’écoute. La forge du regard. La forge de la caresse. Voilà ce que je veux.


Et pour l’inculquer, je dois l’apprendre.


Et hier et encore aujourd’hui et peut-être demain aussi, j’apprends à prendre congé.  





Début mai 2020

Le confinement est débuté depuis si longtemps - toujours resté sur une corde incertaine - le voyant aujourd’hui tenter de briser son existence par pas provocants peurs et joies, joies et peurs et encore incertitudes au pluriel - que je me demande comment est la vie autrement. Je me demande, ai-je déjà vécu entièrement hors confinement ? Hors confinement, ai-je ces plages d’espaces, ces plages d’espaces sans trop d’anxiété ? Dès le début du confinement, j’ai passé d’une ligne métropolitaine à une ligne insulaire. Par grand hasard de vie, grand hasard tourné vers ce que je suis au plus franc de moi. J’ai dû me déplacer pour monter une exposition qui ne verra jamais le jour dans les yeux des visiteurs-poètes. Une exposition qui sommes-toutes existe en elle-même. Hier soir, j’ouvrais un journal intime illustré datant de la fin 2017 et d’une grande part de 2018 et en premières lignes, je trouvais ces mots : <<laisser vivre les objets>>. Je trouve que ça résonne bien avec la manière dont j’accepte de voir la vie de mon exposition <<Îles>> au Musée acadien du Québec à Bonaventure.



Laisser vivre les objets. Se laisser vivre aussi. Je veux dire par là, depuis quand avons-nous réellement le contrôle sur nos vies, le fait de vivre n’implique-t-il pas justement d’être bouleversé pour pouvoir apprendre encore en traversant la route qui est la nôtre ? Je trouve, pour ma part très étrange, ce désir de contrôle et de retour à la normale ou l’anormale. Je ne vois pas ce qu’il y a de sain dans notre vie capitaliste ... certaines et certains diront que si ce n’était pas cela ce serait autre chose et ce ne serait pas mieux. D’autres jamais ne se questionnent sur notre manière humaine de concevoir objets et vie, notre vie par les objets. Et si nous laissions vivre les objets et si nous prenions le temps de poser le pied dans notre vie, celle qui se joue maintenant, pas celle qu’on attend de vivre, qu’on a déposé sur le bord du comptoir ou d’une table, il y a deux mois, non notre vie riche riche riche et intérieure. Notre grand voyage singulier, unique et personnel. Celui qui ne demande pas d’avion ou de vêtements particuliers, celui qui se joue dans l’émerveillement de l’ici et maintenant. Je parle oui, en femme privilégiée, je sais que ce n’est pas le lot de toutes et tous. Je le sais, sans le vivre. Il faut se battre. Mais se battre ne peut-il pas aussi se jouer dans le non désir de revenir à cette vie anormale où perdue nous ne devenons que frissons d’anxiété. Nous devenons tous ces insectes angoissés par la température, le temps, notre rendement, cette image de soi dans la vitre.



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Je me demande, je me questionne, du nid de mon lit, avant même que ne rosisse le ciel. Peut-être ai-je encore manqué le lever du soleil. Ça en fait un de moins d’inscrit dans ma mémoire. Un levé de soleil qui ne reviendra plus.

Je voulais à la base parler de ma manière de confinement près des grandes étendues, quelque part loin du jeu des drames. Pour inspirer aux gestes plus simples, plus doux. Mais d’abord pour mettre des mots. Trouver les mots pour dire.




Au tout début du nouveau jeu de table présenté par la pandémie, je ne savais pas, comme les autres, comment exprimer cette impression d’irréalité. Car d’un seul coup, tous repères s’effondraient et devant l’incertitude et l’inconnu, comment nommer, trouver un sens, savoir où mener le prochain pas. Je cherchais les mots, la tête pleine d’espaces vides.



Avant la pandémie, ma vie tournait et se retournait autour d’une tempête de peurs dont je tentais de m’éloigner pour respirer. Rester centrée. Prendre part à ma vie encore et encore soutenue par mes désirs, mes rêves, cette notion honnête envers <<je>>.



Dès qu’elle a éclatée, une grande part des peurs s’est envolée. Parce que la plupart de mes peurs n’en sont pas réellement, elles sont plutôt le visage de ce qui n’est pas naturel pour moi. Je m’efforce de prendre le moule et je me romps et me suis infidèle. Et parce que je n’accepte pas si facilement cette infidélité, je me rends malade d’une manière franche et féroce qui brime mes heures, ignore mes jours, m’arrache mon énergie vitale.



Confinée, je vis loin des peurs. Oui, certaines restent, mais je me sens plus forte qu’elles parce que je reste dans l’action. En cessant d’être immobilisé par mes peurs, j’ose concevoir un présent et un futur à l’image de ce que je sens être la nature de <<je>>. Je tente de tracé de nouvelles marques. Je tente la respiration pleine. Je <<tente ce qui tente>>, comme j’aime bien me le rappeler. Expression empruntée à l’artiste Sylvie Cotton.



En étant artiste, je converse ce cœur enfantin, celui qui marche avec curiosité d’un point à un autre. Ce que je veux dire c’est qu’étant artiste j’apprends chaque jour à vivre avec ce qui est, ce qu’on me présente. La vie comme du matériel à transformer, à jouer, à fabriquer, à créer. Je joue avec l’accident, le hasard, je m’émerveille devant ce qui naît ici et là, les yeux grands ouverts, brillants, habités.


Je crois que c’est une philosophie de vie, impossible a déposé en chacun. Certains tentent d’y approcher par diverses substances <<ce soir, je me lâche lousse>>. D’autres par le sport ou la méditation <<lâcher prise, moment présent, respiration pleine conscience>>. Mais tout ça revient à la même chose, tenter de vivre ce qui est. Tenter de prendre le train en marche, parce que l’histoire, notre histoire continue de s’écrire, le temps de glisser dans le sablier, notre vie de se vivre.



Pour moi, art et vie, vie et art restent indissociables. C’est ainsi que je décide de percevoir la chose. Je crée pour vivre et je vie pour créer. Alors pour vivre confinée, je me suis rapidement offerte une liste de défie à réaliser sans obligation, sauf celle de voir vers où tout ceci pouvait me mener. J’ai délaissé les projets d’envergure, qui sans être méchants, donnent davantage le ton à une vision du monde capitaliste, pour me pencher vers la recherche et création de manière fluide, naturelle et respectueuse de mon rythme personnel et de ma position dans ma vie et surtout auprès de la nature qui me redonne ma vraie place, il me semble. Auprès d’elle je ne puis plus me leurrer et me garnir le visage et l’esprit de choses volubiles, non, avec elle, je m’imprègne dans le réel, égale aux côtés des arbres, des oiseaux, de la mer, des astres et du vent. Certes, il s’agit d’une vision de la vie. D’une forme de spiritualité. De croyance intime. Bien sûr on me juge, j’inspire et je dérange. Mais de nature, et je l’accepte, je me mets au service du beau et de l’étincelle créative. De nature, je dirais, mélancolique, mais aussi rêveuse, je semble souvent vivre en deçà, ignorante du réelle et pourtant, je crois qu’au contraire, c’est d’une conscience aiguë du monde qui me fait et m’entoure, dont je me fais porte-parole par actes visuels et poétiques




Le confinement, je le vois comme l’espace-temps d’une visite privilégiée en mon île secrète, en mon archipel d’îles. Je me visite et me fait, me fabrique et m’apprend. Je suis reconnaissante de ce lieu de rencontre en moi. Je ne dis pas là vivre un rêve, je reste femme dans le réel, réel agrémenté de peurs encore, d’incertitudes encore, de maux de corps humain, etc. etc.. Mais encore plus, je vis de la curiosité d’être et de partager vos êtres en devenir, peut-être plus rapidement qu’à l’ordinaire, nous devenons. Nous devenons une version de nous coïncidant avec les marées de l’époque dans laquelle nous progressons.



*


Début avril 2020


Certainement qu’il n’y aura rien d’exceptionnel à mes propos, mais comme je suis artiste, comme j’aime écrire et comme je suis en confinement, je me suis dit qu’il serait agréable de vous partager une petite fresque de ma vie présente, juste pour le plaisir et juste comme ça.


Donc, par où débuter ? Est-ce que je vais bien ? Oui, en général ça va et c’est justement parce que la création m’accompagne depuis toujours que je ne m’en sors pas si mal, à mon avis. Être artiste, être créateur c’est jouer chaque jour avec l’accident, la surprise et cette grande chose planante qu’est l’incertitude. À la fois source de grande anxiété, mais aussi et il ne faut jamais l’oublier, vecteur de surprises, lorsqu’on sait s’y abandonner. Et je crois que de s’abandonner à l’incertitude, c’est quelque chose qui se muscle chaque jour et il existe tout un tas de formules pour se muscler la facette de dangerosité de l’intérieure.

Pour voir, par curiosité et pour être honnête, parce que je n’avais aucune idée de la suite des choses, je me suis laissée le loisir de vivre l’éclosion d’une quotidienneté naturelle. Quotidienneté qui devient sur certains points, consciente et que je tente de modeler tout à fait légèrement, lui offrant le loisir de me surprendre et de me définir.



Alors, comment suis-je entrée en confinement ?

Pour ma part, l’entrée en confinement s’est fait à travers les routes.

J’arrivais de Boston, où j’étais allé rendre visite à celui qui me bouleverse le cœur et tout le tralala. Là-bas, tranquillement, ça se parlait du virus. Pour moi, ça sonnait encore gros comme quelque chose de loin, de très loin, de loin comme dans les autres pays. Ça ne sortait pas encore des écrans des stations de métro ou des journaux. Quelques jours se sont écoulés où ça remontait, encore là, juste comme un murmure. Jusqu’à ce qu’on ferme les écoles et que je rentre travailler le 15 mars à la librairie. En voyant certains visages graves de mes collègues inquiets et tout ce beau monde perdu face au retour des enfants à la maison, vraiment pas longtemps après la semaine de relâche, je me suis mise à regarder chaque visage comme un potentiel de microbe et chaque livre qu’on manipulait aussi. Je le lavais le comptoir information du deuxième étage de la librairie sur Saint-Denis. Le lendemain matin, je me sentais moyen. Enceinte, inquiète, légèrement fiévreuse, je suis restée à la maison. Et le surlendemain aussi. Je partais pour la Gaspésie le 18. J’hésitais gros comme le ciel à partir. Mais là-bas, au Musée acadien de Bonaventure, m’attendait la possibilité d’une première exposition de type professionnelle, pour laquelle je m’étais arracher l’âme dans les derniers mois. J’ai fait un choix égoïste et stressant. Quitter Montréal, prendre le bus voyageur et changer de région. Dans ce temps-là, c’était encore assez calme. Mais ça commençait à se retourner de tous bords tous côtés.



Comme prévu, je suis allée installer mon exposition avec l’équipe de feu du musée et ma charmante maman. Je crois que c’est ma meilleure exposition. Le matin même de l’accrochage, je n’avais encore aucune idée de ce que ça allait donner. Je voulais y aller au feeling et c’est ce que j’ai fait. Entre les coups de fatigue et les bouffées de chaleur, les échanges sur Legault et la situation, je suis parvenue à entrer en dialogue assez fort pour créer sur place les liens entre mes œuvres et pour offrir une concordance, un équilibre dans la mise en commun de mes œuvres hétéroclites. Parce que créer durant le premier trimestre de grossesse a été d’une violence inouïe pour moi. Je suis contente d’être passé au travers et d’avoir été tout de même assez forte pour poser des gestes créatifs. Je ne pouvais pas passer à côté de ma chance de présenter cette exposition. Pour moi, c’est un rêve qui se réalise. Un rêve, qui pour l’heure, n’a pu être dévoilé que par quelques photos sur les réseaux sociaux. Parce que bien évidemment, personne d’autres que le personnel du musée, ainsi que ma mère et moi n’ont pu profiter de l’exposition. Et pour moi, les œuvres n’existent qu’en dehors de moi et au contact de l’autre. Alors, l’existence de l’exposition reste encore à ce jour inachevée.




Alors me retrouvant en Gaspésie, j’ai attendu l’annonce de la fermeture de la librairie, où je travaille à Montréal, pour prendre ma décision de ne pas reprendre la route avant un moment. Les autobus voyageurs ne desservant plus et les cas augmentant sur l’île de Montréal, je préfère être ici.





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Cette fièvre légère que je ressentais depuis le 16 mars m’inquiétais. Alors j’ai dû aller passer le test de dépistage du virus. Fort heureusement, après une suite de journées interminables et l’angoisse que créait cette attente chez les membres de ma famille, j’ai reçu la nouvelle que je n’étais pas porteuse du méchant microbe. Cet état fiévreux est probablement dû à cette séquence d’hormones qui prennent mon corps comme lieu d’exploration. Donc après tout ceci et une répétition d’appels téléphoniques pour ceci et pour cela, j’ai commencé à vivre le confinement.


Déjà, en attente des résultats, je ne pouvais plus bouger. Je devais rester isolé. À cette époque, peu lointaine, mais qui semble déjà être ancienne dans le temps, autour de moi, la crise ça restait flou. En moi, ça revenait comme une étrange sensation. Quotidienneté et puis oh cet étrange effluve de cauchemar. Cette sensation est restée accroché plusieurs jours. À la question, comment je me sens ? je ne savais pas trop quoi répondre. Une sorte de No man’s land dans lequel je me retrouvais par moments.






Mais à travers tout ça, avril s’est amené. Mon mois anniversaire. L’espoir printanier. Oui, oui, même en Gaspésie le printemps fini par se pointer. Même en période de pandémie, le temps fait ce qu’il a à faire, il fait son temps.



Un amoureux de l’autre côté de la frontière. Vivre à nouveau avec mes parents. Gérer mes allergies à ma chatonne que j’aime d’amour et apprendre à vivre de nouveau avec la proximité de la nature ! Allô ! Ha oui et un ventre qui pousse de plus en plus et que j’apprivoise !!!



C’est à partir de là que des choses ont commencées à se passer. En douce. Comme un bon vent. Un vent frette, mais qui met en éveil.

Je sais que pour éviter d’avoir l’impression que les journées nous filent entre les doigts, il faut aller chercher, par fragments, une certaine consistance. Mais je suis une femme qui aime la liberté, qui aime se vivre au naturel et je suis curieuse de voir où les choses me mènent. Quelles qu’elles soient. Alors une routine, pour moi, d’ordinaire, c’est contre nature. Mais quand ça naît de la nature, alors là ça me plait et j’aime ça. Je veux être authentique et ça commence par moi. Alors voilà.



Avec avril arrivait le #napomo challenge, c’est-à-dire le National Poetry Month, auquel je participe depuis quelques années. Je ne sais pas où il a été initié, mais c’est en suivant des ami(e)s et des connaissances sur les réseaux sociaux, que je me suis mise à suivre la ligue.


(Écrire un poème par jour avec le hashtag #napomo)



De devoir écrire un poème chaque jour me motive beaucoup. De lire les autres aussi, lorsque je vois leurs textes naître sous mes yeux lors des défilements virtuels quotidiens. 



Écrire, comme toutes formes de création, c’est pour moi une manière de dire <<regarde ! >>. C’est aussi la meilleure manière de remplir ces espaces qui font peur, ces sortes de trous béants, le néant entre les choses. Par exemple, l’incompréhension pour mon être de n’être pas à proximité de l’amoureux. Dans le poème, je crée des ponts qui me relie à lui. Dans le poème, je vis sur tous les fronts, tous mes angles. Il n’existe aucune temporalité ou réalité fixe. Tout est possible ! Et pour le cerveau, pour le cœur, pour l’être, ces possibles s’inscrivent dans le réel, d’une certaine manière. Créer ça donne du sens là où il n’y en a pas. Ça rend réel, ça rend palpable ce qui échappe.



Aussi, en revenant chez mes parents, je me suis retrouvée face à des bibliothèques gorgées de livres accumulés au fil des ans. Depuis des mois que je braille sur mon incapacité à vivre en temps naturel. Je rêvais de silence, de temps à moi, d’espace, de livres à lire et de temps pour écrire. Je voulais vivre ma grossesse aussi. Et là, je me retrouve avec du silence, de l’espace, du temps et beaucoup, beaucoup, beaucoup de livres. Mais comme, une fois de plus, j’aime les cadres, mais ça dépend, je ne voulais pas non plus m’obliger à une manière stricte de gérer mes lectures. Alors j’ai décidé de me laisser lire, de me laisser vivre et ça fonctionne. Si travailler en librairie m’avait rendue anxieuse face à cette quantité de livres à lire, je me rattrape ici tout en douceur en lisant ce qu’on m’a vivement conseillé ou ce qui capte mon attention. Il n’y a pas de cadre à mes lectures, et je sais qu’elles me nourrissent.



La nature ! La nature ! La nature ! Me retrouver à nouveau à proximité d’elle me semble être la chose à vivre. Être enceinte, c’est revêtir ses habits de femme sauvage. Et cette femme-là, elle a une absolue nécessité, d’être en concordance avec la nature. Moi qui avais du mal à ressentir quoi que ce soit dans les derniers mois, je me laisse complètement bouleverser par les spectacles incessants que m’offrent mer et terre et vent et astres. Je sens monter en moi des pulsions créatrices comme je n’en avais pas vécue et reçues depuis très longtemps. Même si je ne réalise pas tous ces projets, le fait simplement d’en être traversé me procurer un sentiment de bien-être qui n’a aucun prix. Merci mer, merci vent, merci lune, merci les oiseaux, merci les couleurs, les sons, le mouvement, merci. Avec la nature, aucune journée ne se répète. Tout est mouvance et grandeur. J’ai l’impression à nouveau de reprendre ma place dans le monde. Place d'où je m’étais égarée.



Les changements définissent qui nous sommes et il faut nous laisser être transformé par ce qui se meut en soi et autour de soi, même si c’est vertigineux.




Je répète souvent ces mots de l’artiste Sylvie Cotton <<Tenter ce qui tente.>> et c’est ce que je fais. Je tente l’amour, je tente la maternité, je tente le risque d’exposer, je tente l’écriture, je tente mon rapport à la nature. Je tente ce qui tente. Et je reste curieuse de tout, absolument tout. Et à travers ça, j’apprends à me connaître.



Il reste une chose dont j’aimerais parler pour le moment, je ne m’éterniserais pas, car j’ai tendance à en parler à toutes les sauces et il s’agit de l’écriture des pages du matin. Un exercice proposé par Julia Cameron dans son livre-bijoux Libérez votre créativité.



L’écriture des pages du matin c’est littéralement ce qui me noue à moi depuis plusieurs années maintenant. C’est chaque jour, une manière de me dire <<je t’aime>> et de me regarder en face. Ce n’est pas de faire du beau, mais c’est de faire de l’espace pour le beau qui se présentera dans la journée. C’est vider la tête de son vieux jus pour se préparer à boire un cocktail de fruits frais. J’espère avoir la chance de poursuivre encore longtemps et en toutes circonstances, cette activité que je chéris.



Ça prend un espace, du silence, un carnet et un crayon. L’important c’est d’écrire. Et de ne surtout pas se censurer. Madame Cameron suggère d’écrire trois pages style cahier Canada. Pour moi, ça varie d’un carnet à un autre. L’important c’est d’écrire. D’écrire et d’être avec soi.

Sur ce

Bon confinement et soyez courageuses et courageux. Nous marquons présentement l’histoire, la notre et celle d’une époque.









Bisous,









Louba









P.S. C’est super ok de ne pas feeler, de pleurer sans savoir pourquoi, de se frustrer aussi et de s’emporter. Et tout ça, c’est aussi de la belle matière à création, de la grande matière à connaissance de soi.

Le mouvement de l’immobile

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Le mouvement de l’immobile 

 

d’une voix tendre 

 

épuisée 

 

j’appelle le poète 

 

mes secousses restent provisoires 

 

 

j’ai la haine des manèges 

 

je cherche le sens 

 

aux arbres nus 

 

les règles dans la tête 

 

un flux inconstant 

 

de rivières matérielles 

 

l’atmosphère te rend impudique 

 

dans tes allures de feu 

 

pourtant toutes les feuilles 

 

tombées par-terre 

 

forment un nouveau lit d’ecchymoses 

 

dans les deux cas

 

il n’y a plus aucune trace 

 

 

*

 

 

je t’écris :

 

d’abord, 

 

c’est de l’histoire entière 

 

qu’il s’agit quand je te regarde 

 

rien qu’un bout 

 

de tes ongles sert à agrandir 

 

l’espace 

 

qui trop souvent se tient 

 

dans des linges minuscules 

 

posés là 

 

sur mes paumes inquiètes 

 

je ne parlerai pas de toi 

 

comme du seul champ 

 

possible 

 

mais le monde en est un autre 

 

depuis tes airs 

 

regarde regarde 

 

là-bas 

 

je sens l’âme de Don Quichotte 

 

de la manche 

 

c’est sous les moulins à vent 

 

qu’il s’est cherché 

 

une musique 

 

aussi grande 

 

que ses envies d’exister 

 

là-bas 

 

les pales des éoliennes 

 

transforment le paysage 

 

voici d’immenses fleurs blanches 

 

elles tournent et tournent dans le vent 

 

ici,

 

le territoire semble silencieux 

 

ici,

 

s’il a plu 

 

c’était il y a plus de mille ans 

 

plus de 10 ans 

 

c’est encore une neige fondue 

 

un glacier 

 

c’est un morceau de lune 

 

c’est ce jaune que nous renvoie 

 

le soleil 

 

sur les peaux basanées 

 

du voyage 

 

ici, les gens mangent 

 

dans leurs cabines éphémères 

 

ici, le huis-clos est mouvant 

 

la trame sonore change 

 

les secousses viennent de loin 

 

j’attrape le poète 

 

cherche le rythme 

 

j’invite des gens à venir voir avec moi 

 

la nudité des arbres 

 

le tapis dense des sous-bois 

 

l’envolée des oies 

 

la longue traversée de la pointe 

 

 

*

 

 

le bon son 

 

la fréquence parfaite 

 

la définition de la structure d’une forêt naturelle 

 

je respire 

 

les morceaux de poivrons rouges qu’a délicatement découpés 

 

une femme

 

la trempette légèrement fromagée

 

les pelures d’une clémentine 

 

le gel antibactérien 

 

au parfum de lys 

 

j’entre 

 

un village se tient debout 

 

dans les maisons en éveil 

 

as-tu déjà goûté le fromage salé de la Fromagerie des Basques 

 

la vie est injuste quand on ne s’y aventure pas 

 

le fleuve s’agrandit 

 

l’île verte s’étend 

 

les souvenirs s’infiltrent dans le décor 

 

tout est sans cesse à reprendre 

 

entre les doigts 

 

comme si tout 

 

coulait 

 

entre les doigts 

 

des rubans 

 

très doux 

 

d’autres coupants

 

je prends le pari 

 

de ne revenir qu’au moment 

 

où toute l’eau de la mer 

 

aura traversé mon corps 

 

je serai alors une église de village 

 

sans être moisissure 

 

seulement 

 

pour voir plus loin 

 

faire résonner mes cloches 

 

le dimanche matin 

 

et tous les autres jours 

 

et jouer de l’écho 

 

mes drames romantiques 

 

 

*

 

 

sur le fleuve 

 

calme calme et gris 

 

les bateaux sont déposés 

 

par des bras trop grands 

 

pareils à des îles 

 

qui vont et viennent 

 

entre les lignes définies

 

la route de l’eau

 

d’où viennent nos chemises 

 

nos lunettes 

 

nos assiettes 

 

nos imperméables 

 

regarde regarde 

 

un homme a enroulé les foins

 

les vaches auront de quoi mastiquer toute la saison froide 

 

ici, on a fait un trou dans la montagne 

 

même ici 

 

même ici  

 

les objets de métal que nous animons 

 

nos bras de robots 

 

capable de pendre les arbres par les racines 

 

je marque le paysage 

 

je n’ai pas la bonne musique 

 

qu’écoutes-tu à la surface de la pluie 

 

qu’écoutes-tu 

 

dans tes chairs de douleurs 

 

j’ai pris dans mes yeux 

 

un bouquet 

 

d’arbustes 

 

pour en faire 

 

des pulls et des pantalons 

 

une érablière dans les cheveux 

 

beaucoup de bagels 

 

et une compétition 

 

de laquelle personne ne sort gagnant

 

ces batailles où l’on grandit 

 

ici, les rocheuses entourent le paysage 

 

je cherche des mots neufs 

 

pour parler des hommes et des femmes 

 

qui planent sous des draps blancs 

 

je cherche des images pour nommer 

 

le silence que laisse l’autre 

 

quand il n’est pas présent 

 

quelle saveur a l’herbe que je rumine

 

quel paysage est le plus beau 

 

préfères-tu l’effet sauvage 

 

aux plantations calculées

 

aimerais-tu sortir danser sous la pluie? 

 

même froide 

 

même si elle avance les heures 

 

où les recule 

 

sur ta montre 

 

je prends une pause 

 

le centre de contrôle 

 

cherche cherche 

 

la dislocation des verbes amoureux

 

une autre ligne pour nommer l’imprononçable sensation de celle qui reste 

 

de celui qui reste 

 

 

*

 

 

je n’ai plus sommeil 

 

c’est une histoire ancienne

 

 

*

 

 

mais d’abord 

 

je vais te parler de mon rêve 

 

comme Lucile Ryckebush 

 

dans l’incipit de son roman 

 

Le sang des pierres :

 

D’abord, je vais te parler de mon rêve, c’est avec lui que tout commence. 

 

parce qu’il m’obsède 

 

pareil à une note de musique très précise 

 

je te demanderai de faire pareil

 

pour que nos rêves tiennent ensemble 

 

dans ce bungalow blanc 

 

abandonné

 

au centre d’un champ d’agriculture

 

Jean-Michel Blais croise ses mains 

 

au piano dans le creux de mes oreilles 

 

et l’autobus descend et monte des pentes 

 

nous approchons de chez mon amie Andréanne

 

Le Bic

 

ses maisons tiennent sur pilotis 

 

se tiennent en affront à l’île aux amours 

 

c’est chez elle que l’automne se met le plus beau 

 

dans le rêve 

 

je suis une femelle oiseau 

 

dans ma peau de madame 

 

je rêve nue 

 

pourquoi porter des tissus 

 

et perdre toute la légèreté 

 

de l’innocence 

 

puisque anyway chacun et chacune 

 

tiennent dans leurs mains 

 

leur obsédante naïveté gazeuse 

 

c’est une fête 

 

je n’y prends part 

 

que par les yeux le cœur 

 

je me faufile 

 

une très grande et très grasse souris

 

j’aime tenir ma peau entre mes mains 

 

comme si cette douceur pouvait aussi m’appartenir

 

au revoir Le bic 

 

au revoir 

 

au revoir mon amie ton amoureux et l’île aux amours 

 

au revoir 

 

et le théâtre au revoir au revoir 

 

dans le rêve

 

outre les pelures roses de ma peau je transporte un pot rempli de terre 

 

dans lequel tiennent des plantes 

 

la terre est sèche 

 

les plantes meurent doucement 

 

je cherche la liqueur inodore 

 

qui saura nous ramener toutes à la vie 

 

il n’y a pas que la chaleur de tes épaules sous mes lèvres 

 

pour me donner à boire 

 

comme sous une chute africaine 

 

même si 

 

l’espoir me fait continuellement boire 

 

aux souvenirs 

 

trop souvent éthérés 

 

de nos heures passées ensemble 

 

 

*

 

 

le sais-tu 

 

que je pourrais 

 

sans peine 

 

fixer la feuille d’un arbre 

 

sans m’ennuyer 

 

pour tes yeux 

 

tout reste incomparable 

 

je ne l’explique pas 

 

j’offre l’inquiétante incertitude 

 

aux dimensions abstraites 

 

du cœur 

 

 

*

 

Allô Rimouski 

 

allô

 

d’en haut 

 

tu ressembles à une époque ancienne 

 

d’en haut 

 

je te reconnais très bien 

 

d’en haut, rien n’est plus beau 

 

que ce dessin : la ville, l’île et l’autre côté du fleuve 

 

les terres parallèles 

 

une trilogie 

 

 

*

 

 

et la seule phrase qui me vient : 

 

que penserait mon premier amour 

 

ma première violence 

 

s’il me voyait 

 

combien d’année depuis le dernier contact? 

 

 

*

 

 

arrêt jusqu’à 15h-15 

 

me rappeler 

 

qu’un double meurtre d’enfants n’est pas un drame familial 

 

me le rappeler jusqu’à tenter de le cracher correctement 

 

de trouver la ligne conductrice 

 

pour tisser l’idée qui part du corps 

 

qui parle du monde 

 

chercher l’impact 

 

d’abord 

 

dans ma réflexion au monde 

 

puis dans l’entrelacs des mains 

 

à une table 

 

se font face un homme et une femme 

 

au milieu de la table 

 

sa main droite et sa main gauche 

 

au milieu de la table 

 

se tient l’image d’un lien

 

 

*

 

 

mes seins brûlent 

 

et pendant ce temps 

 

pendant que j’attends mon végé burger 

 

je me demande 

 

si ce n’est pas 

 

par les hommes 

 

que j’apprends mon corps 

 

plus que par mes sœurs 

 

je me demande 

 

qui étaient ces femmes que l’on appelle grand-mères 

 

en dehors de leur rôle 

 

d’épouse et de mère 

 

 

*

 

 

regarde 

 

comment l’eau 

 

se faufile 

 

dans ma gorge 

 

comme ce qui naît entre toi et moi 

 

si j’étais ce que je prétends être 

 

tu aurais déjà reçu 

 

pour le creux de tes songes 

 

ces particules 

 

qui font l’air moins viciée

 

l’air à lui seul 

 

me fait émettre des fréquences 

 

d’enfant 

 

tour à tour 

 

se transforme

 

le paysage 

 

en douce chanson 

 

les paroles à demi éventées 

 

le silence ne plane jamais vraiment entre les canards et les goélands 

 

 

*

 

 

elle a deux ans et demi 

 

elle s’appelle Emma 

 

elle voyage avec sa grand-mère maternelle 

 

elle a des cheveux blonds 

 

nous regardions ensemble 

 

les oiseaux voler 

 

aux dessus des îles 

 

nous quittions simultanément 

 

une ville pour la pointe 

 

nous étions toutes deux 

 

des enfants 

 

avec un monde à interpréter 

 

elle chantait 

 

j’écrivais la poésie 

 

 

*

 

je me souviens 

 

que j’aime d’amour 

 

les rochers 

 

qui émergent de l’eau 

 

sur la longueur du fleuve 

 

un jour, j’aimerais te montrer la Gaspésie 

 

par nos regards communs 

 

emprunter les routes de tes images 

 

te montrer les miennes 

 

il faudrait tenter de tout voir 

 

mais tout ne se révélerait pas 

 

car le mystère 

 

provoque un déluge de renversements systémiques 

 

la beauté est incroyable 

 

au cœur des ombres noircies de brume temporaire 

 

 

*

 

 

j’écrivais déjà :

 

j’aurais voulu tout réécrire 

 

et je dépose une pierre après l’autre 

 

avec mon pinceau et l’acrylique 

 

une ligne 

 

une tâche 

 

l’imprécision 

 

des dangereuses beautés 

 

je trace les lisières 

 

pour les apprivoiser mieux 

 

je n’ai plus de chaînes 

 

tout ce qui est est coulisses 

 

et ramures 

 

je voudrais te le dire au coin du corps 

 

dans le murmure 

 

du désir flagrant 

 

mais dépossédé de lui-même 

 

l’abandon 

 

à la forêt 

 

des arbres parleurs 

 

viens, viens me voir 

 

que je caresse chaque point de ta peau 

 

que j’en pétrisse l’argile 

 

les muscles sacrés 

 

 

*

 

 

voilà 

 

qu’au lieu de nos mains 

 

des oiseaux s’épanchent sur nos nuques 

 

pour nous tenir libres 

 

entre les pays 

 

voilà 

 

qu’à force de chanter ta disparition 

 

j’accroche des plumes 

 

dans les franges sèches 

 

des enfants mal-aimés 

 

voilà 

 

tu risques tout 

 

au nom des murailles extravagantes 

 

qui dérogent de nos corps légers 

 

nos corps d’oiseaux 

 

nos épaves sur le gravier 

 

nos plages de mots tendres 

 

voilà nos corps d’oiseaux 

 

éperdus en langage nouveau 

 

sur des rythmes 

 

que j’espère moins stoïques 

 

comme la chevelure d’un enfant tendre 

 

d’un enfant qui rage 

 

je boucle les boucles 

 

autour de ton cou 

 

je soumets toutes les fleurs 

 

au poids sans mesure de mes âges sans toi 

 

voilà on s’apprivoise sous la musique 

 

voilà 

 

on regarde le vert des pelouses 

 

on a faim de revoir le clair sous l’ombre 

 

de nos ailes ouvertes 

voilà 

 

voilà 

 

une répétition vaine des amours 

 

sans corps 

 

voilà ma précipitation dans le ventre de la mouette 

 

ton esprit de hibou 

 

voilà voilà 

 

nos mensonges sont des liqueurs crues 

 

nos espoirs se mélangent aux mélèzes 

 

voilà 

 

nous perdons nos aiguilles 

 

nos devenons pierre 

 

nous sommes des résidus frileux 

 

nous allons contre les vertiges 

 

pour y plonger 

 

tête première 

 

tête et bec 

 

et plumes

 

et je mange tes restes 

 

et tu grattes ma peau sur les os 

 

et je prends ta moelle pour un canevas de théâtre 

 

voilà voilà 

 

la corde se relâche 

 

la musique s’introduit dans les têtes 

 

nos voix sont graves sous la fumée

 

nous ne sommes plus 

 

et pourtant 

 

sur la grève 

 

roulent 

 

nos carcasses 

 

précieuses 

 

offrandes 

 

au sacré ciel 

 

des aurores boréales 

 

voilà voilà 

 

on ne s’atteint plus 

 

on se manque 

 

on se mange de l’intérieur 

 

on se désir 

 

nous n’avons plus de mains

 

nous n’avons que les yeux au bout de nos ailes fanées 

 

voilà voilà 

 

on est arômes

 

on est vagues  

 

amoncellement froid de roche 

 

voilà 

 

comme il est animal de se dévorer le cœur 

 

par le corps 

 

 

*

 

 

une tache 

 

de sang 

 

et tout est si parfaitement bien emboîté 

 

la péninsule de ces graves délires 

 

nous oublions le risque 

 

le premier grand décalage 

 

par surdose 

 

d’attente 

 

 

*

 

 

un enfant est déposé sur ton ventre 

 

tu es vieille depuis si longtemps 

 

ces regards ravalés comptent finalement 

 

 

*

 

 

on a rentré nos ventres 

 

avant qu’il soit trop tard 

 

avant l’hiver 

 

et la prochaine éclipse 

 

nos ventres durs 

 

nos ventres doux 

 

ces inclinaisons douteuses 

 

les provocations sinueuses des amours naissants 

 

on a vidé les pots 

 

déposé la terre sèche entre nos orteils et sous nos langues 

 

les plantes 

 

et nos rêves attendaient 

 

que vienne danser 

 

l’air froid 

 

les mêlées 

 

de chairs 

 

d’arbrisseaux 

 

et de fleurs à fruits 

 

on avait dans la chambre 

 

nos cœurs de grands

 

pour les souhaits d’adultes 

 

et ces sensations d’enfants 

 

assaillies d’interdictions 

 

nos dos étaient 

 

de fer 

 

des armures 

 

pour contrer 

 

le feu jaillissant 

 

des volcans trop durs 

 

avec pour seule affection 

 

cette eau 

 

coulée 

 

sur les feuilles maussades 

 

de nos bouches 

 

nos orteils dans les pots 

 

nos mains dans la terre 

 

cette bouche 

 

la tienne 

 

surprise 

 

dans le soupire sérieux et calme 

 

d’un respire humide 

 

on est géants 

 

au sortir de la réclusion

 

pour mener la course 

 

au sommet des montagnes 

 

tu me demandes encore 

 

si les larmes qui glissent de moi

 

sont un symptôme 

 

de la montée des eaux 

 

et je ne réponds pas 

 

on a assez de silences pour habiter 

 

avec toutes nos maisons sur les épaules 

 

et nos délires en contre-bas 

 

te regarder me regarder 

 

et remettre en terre 

 

les fleurs 

 

et sous les racines 

 

nos plus beaux baisers 

 

 

*

 

 

j’attends que la fin du jour 

 

ramène 

 

des corps 

 

un silence de jadis 

 

 

*

 

 

elle se tient partout 

 

jamais atteinte 

 

d’aucune ombre, la jolie proie fragile 

 

elle est masure 

 

et sa circonférence 

 

est les territoires insulaires 

 

dans l’ombre qui descend sur son visage 

 

certaines traces 

 

plus vives que les autres 

 

brillent 

 

ce sont les écorchures 

 

les traces du verre cassé 

 

elle remise les lucioles 

 

les fleurs séchées 

 

et les regards 

 

dans des bocaux transparents 

 

tous lui jettent des airs réprobateurs 

 

ses cils 

 

jadis longs comme 

 

des rivages abandonnés 

 

s’entassent

 

sur la ligne 

 

de ses paupières en fuite 

 

elle se tait 

 

sa parole 

 

davantage des chansons 

 

que des complaintes 

 

n’a de macabre

 

que les refuges voulus silencieux 

 

le monde est au bavures

 

quand nous perdons le fil 

 

de nos battements de cœur 

 

c’est à croire 

 

que toutes les rivières ne coulent plus 

 

que les arbres ont cessé leur grande montée vers le ciel 

 

que tes mains oublient la texture des miennes 

 

c’est à croire 

 

que mon volcan brûle la forêt de mes rêves 

 

et tes peurs renversent les glaciers de Terre- Neuve

 

dis-moi 

 

dis-moi 

 

saurons-nous aimer 

 

l’atmosphère 

 

de séduction grave 

 

comme la glaise trouvée 

 

sous le sable 

 

par-hasard 

 

saurons-nous voir 

 

sous le vacillement du soleil 

 

les peaux de nos sœurs de nos frères 

 

comme nous, 

 

des enfants de jadis 

 

enfoncés dans les commerces des âges précis 

 

des bocaux 

 

elle sort les bijoux 

 

les étend autour d’elle 

 

cercle protection spasme 

 

incantation 

 

elle s’amuse 

 

à te reconstruire 

 

te donne vie 

 

à chaque levée du rideau 

 

regarde regarde regarde 

 

le monde est un spectacle 

 

il faudrait peut-être répéter 

 

que confondre 

 

l’éternité et nos bouches 

 

ne nous mènera jamais à cette ligne fragile 

 

tenue 

 

entre l’eau de mer et le sel de tes pieds 

 

 

*

 

il y 60 ans Rosa Parks 

 

refusait 

 

de céder 

 

sa place 

 

dans l’autobus 

 

 

*

 

Emma me demande : 

 

et toi, tu as un bébé dans ton ventre? 

 

je dis : non, pas encore. Peut-être bientôt. 

 

*

 

savoir que 

 

tu es poète 

 

avant d’apprendre 

 

à aligner les mots

27 octobre 2019

Ses mots en zine sont disponibles ici.

L'écriture en mouvement, l'ouverture...

nelson mederik

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L’écriture en mouvement

 

Mon souhait, avec la poésie, c’est de permettre au regard de s’aiguiser, de s’habituer à voir le beau, et au cœur de ressentir fort cette beauté. 

  

2015-2016 Premier hiver à Percé

Je suis en plein processus d’écriture de mon projet de roman,débuté à la fin de l’été 2014 (et toujours en cours d’ailleurs). 

Je vis pour la première fois, en égale avec la nature. Je me retrouve tranquillement à ma place. Femme – Territoire – Rocher -Île – Pierres -Sable – Vent – Mer – Oiseaux – Champ -Humains – Poissons – Champignons -Baleines – Homard -Coquillages – Algues…

 

Je vis le changement des saisons. Du printemps à l’été, de l’été à l’automne, de l’automne à l’hiver. 

Je m’installe face à la baie vitrée de l’espace bureau de la maisonnette que je loue pour voir tourner au blanc les grands espaces sculpturaux des lieux. 

J’observe ces danses qu’esquisse le vent dans les nuages et dans les dérives de couleurs flamboyantes. Je suis aux premières loges pour sentir la lumière glisser sur ma peau moirée. 

J’ai l’âge d’or des solitudes lourdes, je ne sais pas me rendre aux autres. 

Brume en mon cerveau, je cherche à rendre les maux à la fiction. 

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Certains dimanches, je traverse l’allée glissante pour me rendre chez ma voisine, une octogénaire merveilleuse et accueillante, où je suis reçue comme membre de la famille. Ces soirées-là sont riches en discussions, les gens présents ont l’expériences de plusieurs vies et une foule d’histoires prennent naissances au fil des échanges. 

Un homme, lui aussi octogénaire, un érudit ayant traversé monts et merveilles au fil des jours de sa vie, m’entretient, passionnément, transférant ses souvenirs de sa tête à la mienne avec l’aisance et la confiance qui le portent vers ses derniers mois (il est malade et effrontément courageux et vif). 

Je sais que je danse parfois après le souper. Mais ce soir-là, celui dont je tente d’extraire la genèse d’une réflexion qui poursuit depuis son ascension en moi, je ne crois pas que ce soit mes mouvements de danse qui ont offert une certaine direction à notre discussion. Je me souviens. J’ai dû préciser que le personnage de mon roman est danseuse contemporaine… voilà. Plus tôt dans la journée, ou dans la semaine, j’en avais fait le choix.

 

Le mouvement.

 

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Je parle peu de l’histoire de mon roman. Ça m’arrive parfois, quand je me sens en confiance et lorsque l’autre montre qu’il est réellement intrigué par ce que je propose. 

Alors, peut-être que je venais de choisir de la passion de mon personnage principal et donc d’un certain angle de vue de son histoire. 

Je crois que jusqu’à ce moment-là, lors de cette conversation avec G., je sentais et percevais la vie avec une certaine linéarité qui me donnait mal au cœur. Comment l’expliquer? À des reprises à fortes fréquences, une grande émotion m’envahissait. Et je parvenais avec peine à me l’expliquer. Une forme de désir – comme une grande vague qui traverse le corps, prenant l’âme en otage pour lui montrer les étoiles du ciel de très près. J’accueillais avec difficulté l’émotion, parce que dès que j’en ai pris conscience, elle s’est mise à me faire peur et je ne savais plus comment, ni où me placer pour la vivre. Pour te situer, je dirais qu’il s’agit du pendant « positif » de la mélancolie. Encore là, qu’en sais-je? Puisque je tente d’expliquer quelque chose à surfaces multiples et insaisissables. Mais c’est exactement là mon point. 

Jusqu’à ce soir-là, je tentais de m’accrocher à la linéarité du temps et de ma vie, ressentant très bien qu’elle avait mille autres visages simultanés, mais sans connaître le chemin pour la vivre.

Et c’est à travers cette conversation avec G., toute simple, presque banale, que s’est révélée une forme d’essence de la vie, un parfum, un angle, une manière d’être et de percevoir le temps. 

Nous avons parlé de la danse. 

Il m’a fait voyager dans ses premières années au Canada, au Québec. Il arrivait de Paris, il arrivait d’ailleurs et encore d’ailleurs. C’était un enfant de la guerre. Enfant unique, il avait vécu sa petite enfance à Paris.

Il me racontait les belles années du disco. Pour lui, c’était en grande partie ça, la vie ; la belle époque! 

Puis il m’a parlé de sa maman. 

Il m’a dit que sa maman avait déjà étudié à l’école de danse d’Isadora Duncan. 

 

Je ne connais pas encore ce nom.  Qui est Isadora Duncan